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Abbé Moreux

La vie sur Mars (1924)


Ce monde voisin possède-t-il des mers analogues à nos océans ; ces contours qui nous sont devenus familiers et que nous voyons à peu près tels quels aux époques où Mars se rapproche de nos instruments, ces lignes sinueuses, tantôt largement dessinées, parfois découpées en fines dentelures, tout cela représente-t-il les rivages de continents surélevés où l'érosion a marqué sa séculaire empreinte ?

Mars possède-t-il une atmosphère ; et si oui, cette couche aérienne est-elle respirable ? Serions-nous en présence d'un monde à jamais éteint comme notre satellite, la Lune ; ou bien d'un astre s'ouvrant à la vie ? Mars, en un mot, est-il habitable et pourrions-nous vivre sur cette terre du ciel, réplique peut-être de la nôtre ?

Lancée dans cette voie, pourquoi notre imagination s'arrêterait-elle ? Mars serait-il donc habité ? La vie serait-elle déjà apparue là-bas et perpétuerait-elle son emprise ? S'il faut en croire les cosmogonistes, Mars serait beaucoup plus ancien que la Terre ; née plus tôt sur un monde plus petit, la vie aurait évolué là-bas plus rapidement que chez nous ? Alors où en est-elle ? Les êtres vivants placés sur ce séjour ont-ils atteint dans leur évolution vers le mieux,[10] vers l'idéal et le parfait, un état plus avancé que le nôtre ? Pensent-ils comme nous ? S'occupent-ils de littérature, de science et de religion ? Se battent-ils entre eux, comme nos peuples terriens, pour se disputer la prédominance sur terre et sur mer ; et alors, où en sont-ils des moyens perfectionnés de s'entre-tuer  ? Ont-ils, comme les Allemands, inventé les obus asphyxiants, les bombardements contre les villes paisibles, la destruction systématique des temples ? Y a-t-il là-haut des nations maritimes, toujours prêtes à prêcher le désarmement, mais qui continuent pour leur propre compte à entretenir de formidables flottes de guerre  ? Et s'ils sont plus avancés que nous dans la science, peut-être nous observent-ils avec des instruments d'une puissance colossale ? Les lueurs éphémères aperçues de temps à autre sur ce monde lointain, ne seraient-elles pas des signaux qu'il nous envoie  ?... à moins que les Martiens n'essaient de[s] moyens de communications plus étranges et que nous soupçonnons à peine  : Ondes hertziennes puissantes affectant nos postes de T.S.F. ; vagues calorifiques lancées à travers l'espace, rayons inconnus déclenchant les pires perturbations au sein de l'écorce terrestre. Je n'exagère rien. L'année 1924 a vu se dérouler de fréquents cataclysmes  : tremblements de [11] terre, cyclones, manifestations électriques intenses, rien n'a manqué ; eh bien, nombreux sont les esprits qui, de bonne foi, ont attribué ces anomalies à notre fâcheux voisinage des Martiens.

Évidemment, nous avons mieux à faire que de nous arrêter à ces fadaises, mais le monde n'a guère changé depuis Fontenelle.

Toutefois, la Science a progressé et c'est à elle de refréner notre imagination et de nous rappeler à la réalité, tout au moins à la vraisemblance. Ce sont donc les savants qu'il nous faut interroger ; à eux de nous dire ce qu'ils ont constaté sur la planète qui nous occupe. Les astronomes qui, depuis longtemps, possèdent des méthodes pour peser les mondes, doivent avoir des moyens de déceler leur atmosphère, de fixer à leur surface les conditions de la vie, d'évaluer leur température superficielle, etc., etc...

Vous le voyez, il s'agit ici d'une enquête sérieuse et qui doit être menée sans parti-pris, avec toutes les ressources que la science moderne tient à notre disposition. Étudions donc les conditions sous lesquelles Mars se présente à nous, aux époques les plus favorables. Tout le monde sait que Mars vient après la Terre, dans l'ordre des distances au Soleil. Notre planète trace son orbite à 149 400 000 kilomètres de l'astre central, alors que Mars circule beau- [12] coup plus loin, à 227 637 500 kilomètres ; l'intervalle entre la Terre et notre voisine est donc de 78 millions de kilomètres en chiffres ronds, lorsque les deux planètes se trouvent du même côté dans l'espace par rapport au Soleil. (V. fig. 1 et 2). Mais ces chiffres ne sont que des moyennes ; les orbites planétaires ne sont pas des circonférences ; elles sont elliptiques ; il s'ensuit que, de ce fait, Mars et la Terre peuvent passer beaucoup plus près l'une de l'autre ; à leurs oppositions périhéliques, la distance minima atteint à peine 56 millions de kilomètres ; et c'est ce qui est arrivé en l'année 1924. Le disque de Mars s'offrit alors à nos yeux avec un diamètre apparent de 25 secondes d'arc. C'est peu, mais si nous l'observons avec un pouvoir amplificateur de 325, le diamètre de la planète vaut 4 fois celui de la Lune vue à l'oeil nu [NOTE Le diamètre apparent de la Lune est de 31' d'arc environ et en moyenne.] ; et Mars nous apparaît dans le télescope comme un disque équivalent en surface à 16 pleines Lunes. Le nombre de détails qu'on y peut remarquer est donc théoriquement considérable. Mais pratiquement, nous allons voir que l'astronome se heurte à des difficultés presque insurmontables.

[13] On se figure généralement dans le grand public, qu'il suffit de se procurer une grosse lunette et de la braquer sur les mondes planétaires pour y apercevoir des merveilles. C'est là une très grave illusion. La vision télescopique [14] suppose des conditions rarement réalisées et il ne faudrait pas la confondre avec l'étude au microscope. Le microbiologiste opère dans une chambre fermée, sur des images qui ne dansent pas et avec l'éclairage qu'il désire.

[15] Hélas ! nous autres astronomes, qui observons à ciel ouvert, nous sommes loin de ces commodités. Notre grand ennemi, c'est l'atmosphère. Le moindre courant d'air passant devant l'objectif, fût-il même à une grande hauteur, trouble les images télescopiques ; le disque de la planète présente alors des irrégularités changeantes et si vous avez observé un objet à travers la couche d'air chaud s'élevant d'un poêle, vous pouvez vous faire une bonne idée du phénomène.

Ce bouillonnement particulier des images s'exagère encore à mesure qu'on opère avec des lunettes d'objectif plus large, si bien que, tout compte fait, le nombre des nuits utilisables avec un grand instrument, est toujours moindre que si l'oeil est armé d'un objectif de moyenne puissance.

C'est pour cette raison que les astronomes d'antan cherchaient pour la construction des observatoires, les hauts sommets et les grandes altitudes. En fait, lorsqu'on s'élève de 4 à 5 mille mètres dans les airs, on diminue de moitié la densité de la couche aérienne, mais alors surgit un autre inconvénient. Dès la nuit tombée, l'air chaud des vallées monte à l'assaut des sommets, glisse sur les pentes et vient troubler les images télescopiques. Les aviateurs ne l'ignorent pas ; ils fuient les remous causés par la topographie mou- [16] vementée d'une région montagneuse. Dans ces conditions, un observatoire juché sur le Mont Blanc, comme l'avait essayé Janssen autrefois, est un mythe. Même de faibles sommets comme le Puy-de-Dôme, sont impropres aux observations astronomiques et le raisonnement s'applique aux observatoires situés aux flancs des vallées ou sur les côtes maritimes.

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Texte produit par Pierre Cubaud (cubaud@cnam.fr)