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Hérault de Séchelles

Voyage à Montbard (1785)

« Un procédé très utile et très commode auquel il faut s'accoutumer pour rendre son esprit prompt et se rappeler à la fois une multitude d'idées, c'est, quand vous possédez ces idées, de ne retenir de chacune que le mot qui porte, et dont le seul souvenir reproduit la phrase tout entière.

« Voltaire a dit quelque part: « Les mots sont les « courriers des pensées. » En appliquant ici cet adage dans un autre sens, je dirai qu'il faut habituer son [X] cerveau à n'avoir besoin que des mots _têtes_ dans toute l'étendue de la plus longue discussion.

« Apprendre _par coeur_, ce mot me plaît. Il n'y a guère, en effet, que le coeur qui retienne bien et qui retienne vite. La moindre chose qui vous frappe dans un endroit vous le fait retenir. L'art seroit donc de se frapper le plus qu'il seroit possible.

« Écrire. La mémoire se rappelle mieux ce qu'elle a vu par écrit. S'en faire comme un tableau dans lequel on lise en quelque sorte au moment où l'on parle.

« La mémoire s'aide aussi par des chiffres : ainsi comptez le nombre de choses que vous avez à apprendre dans un discours par exemple.

« J'ai éprouvé aussi qu'il m'étoit très utile de parler pour un discours à retenir. J'ai essayé souvent de parler en public pendant une heure, et quelquefois deux, sans aucune espèce de préparation. Je sortois de cet exercice avec une aptitude singulière, et il me sembloit dans ces momens que, si j'avois eu à dire un discours, que je n'aurois même fait que lire, je m'en serois tiré avec un grand avantage. »

Après la mémoire, l'action lui semblait la partie la plus importante de l'éloquence. A ses débuts d'avocat, il avait été prendre des leçons de Mlle Clairon. « Avez-vous de la voix ? » me dit-elle la première fois que je la vis. Un peu surpris de la question, et, d'ailleurs, ne sachant trop que dire, je répondis : « J'en ai comme tout le monde, Mademoiselle. -- Eh bien ! [XI] il faut vous en faire une. » Voici quelques-uns des préceptes de l'actrice, qu'Hérault tâcha de suivre : « Il y a une éloquence des sons : s'étudier surtout à donner de la rondeur à sa voix ; pour qu'il y ait de la rondeur dans les sons, il faut qu'on les sente réfléchir contre le palais. Surtout, allez doucement, simple, simple !... » Elle lui disait : « Que voulez-vous être ? orateur ? Soyez-le partout, dans votre chambre, dans la rue. » Elle donnait aussi ce conseil, mais celui-ci purement scénique et mauvais pour un orateur : « Teindre les mots des sentimens qu'ils font naître. »

Hérault dit qu'il songeait sans cesse à la voix de Mlle Clairon, et il caractérise sa manière à lui en rappelant celle de son professeur : « Elle prend sa voix dans le milieu, tantôt doucement, tantôt avec force, et toujours de manière à la diriger à son gré ; surtout elle la modère souvent, ce qui fait beaucoup briller le moindre éclat qu'elle vient à lui donner. Elle va très lentement, ce qui contribue en même temps à fournir à l'esprit les idées, la grâce, la pureté et la noblesse du style. Je prétends qu'il y a, dans le discours comme dans la musique, une sorte de mesure des tons qui aide à l'esprit, du moins au mien. J'ai éprouvé que d'aller vite offusque et empêche l'exercice de mes idées... Ne croyez pas que ce soit là une véritable lenteur. On la déguise, tantôt par la force, tantôt par la chaleur qu'on donne à [XII] certains mots, à certaines phrases. Il en résulte une variété qui plaît, mais le fond est toujours grave et posé. »

Le souci de bien dire était tel chez lui que longtemps il s'astreignit à déclamer dans la matinée les fureurs d'Oreste, et tout le rôle de Mahomet, jusqu'à s'érailler la voix. Le soir il se sentait une diction forte, facile et variée. Il ne négligeait aucun moyen de s'entraîner. « Le Kain, dit-il, avoit coutume, une heure avant de jouer, de se promener seul sur le théâtre, de l'arpenter, de se remplir des fantômes de la tragédie. Nous devrions transporter cette méthode dans nos études. »

Il avait étudié avec un soin minutieux le geste proprement dit. La Clairon lui disait : « Votre genre est la noblesse et la dignité au suprême degré. Très peu de gestes, mais les placer à propos, et observer les oppositions qui font ressortir les changemens des gestes. » Lui-même disait : « Le geste multiplié est petit, est maigre. Le geste large et simple est celui d'un sentiment vrai. C'est sur ce geste que vous pourrez faire passer un grand mouvement. »

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Texte produit par Pierre Cubaud (cubaud@cnam.fr)