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Hérault de Séchelles

Voyage à Montbard (1785)

« Elégant écrivain, dit Paganel, il consacroit aux lettres tout le temps qu'il déroboit aux goûts qui dominoient en lui. » A notre avis, ce VOYAGE A MONTBARD, que nous publions aujourd'hui, est un morceau de tout point exquis, où Buffon revit tout entier, homme et auteur. Hérault ne s'y montre pas, comme l'a dit Sainte-Beuve, « Un espion léger, infidèle et moqueur (* Causeries du Lundi, IV, 354.*) », mais un observateur et un peintre. Par la vérité fine de ses aperçus, il devance Stendhal, dont il a la sécheresse et la précision. [VI] Écrivain laborieux, il poursuit sans cesse la brièveté et la simplicité, et il atteint à la force de Chamfort, avec plus d'étendue dans l'intelligence et un souci des aperçus généraux qu'il doit peut-être à la fréquentation de Buffon.

En 1788, il publia (ou plutôt fit imprimer) LE CODICILLE POLITIQUE ET PRATIQUE D'UN JEUNE HABITANT D'ÉPONE. Remanié en prison, cet ouvrage ne fut répandu dans le public qu'en 1802, sous le titre de THÉORIE DE L'AMBITION. Ces réflexions morales, inspirées par une philosophie un peu trop positive et sèche, offrent un pessimisme que tempère l'ironie. M. Claretie a déjà signalé avec goût les plus remarquables de ces maximes, ainsi qu'un chapitre sur la conversation, où Hérault caractérise les plus ingénieux causeurs de la fin du XVIIIe siècle et l'orateur idéal dans celui qui résumerait les différentes sortes d'esprit de Thomas, de Delille, de Garat, de Cerutti, de d'Alembert, de Buffon, de Gerbier et de quelques autres, avocats ou acteurs. C'est là l'école où il se forma et apprit à plaire.

Cet esprit très moderne, tourné vers l'avenir, à la Diderot, ne traîne pas après lui les chaînes scolaires ; il n'a pas la superstition du latin, l'adoration de la légende gréco-latine. Mais il sait jouir du passé, et goûter la vraie érudition, par exemple dans l'abbé Auger, le traducteur de Démosthène, dont il prononça une élégante oraison funèbre à la loge des [VII] Neuf-Soeurs, en 1792. A une époque où l'Université n'enseignait plus le grec, et peut-être pour cela même, Hérault dit des choses vraies sur Démosthène, qu'il juge en politique autant qu'en artiste : « La Révolution, dit-il, en développant nos idées politiques, nous a donné, pour apprécier les ouvrages de quelques anciens et pour jouir de tout leur génie, une mesure qui nous manquoit. » Il admire dans l'orateur grec « cette âme orgueilleuse et sensible, qui porte en elle toute la dignité et toutes les douleurs de l'apathie ; ce mouvement général, sans lequel il n'est point d'éloquence populaire, où les rapports accessoires, serrés fortement, roulent de haut dans des périodes qui compensent l'étendue des idées par la précision du style ». Mais ici c'est à lui-même qu'il pense, et c'est son propre talent qu'il désigne lorsqu'il dit : « Jamais, surtout, il ne cessa d'égaler par ses efforts cette beauté, cette perfection continue du langage, ce mécanisme heureux, si familier à l'orateur qu'il ne pouvoit pas même cesser d'être élégant dans les apostrophes les plus impétueuses, dans les sorties les plus véhémentes : mérite plus rare qu'on ne pense, parce qu'il tient à un genre d'esprit particulier, et principalement à l'adresse, qui est le don de multiplier la force en la distribuant. » On reconnait là les idées de Buffon sur le style oratoire.

Lui-même s'était fait, pour son propre usage, une sorte de rhétorique qu'on retrouva dans ses papiers. [VIII] Ce sont des préceptes pratiques, des recettes distribuées sans ordre, mais qui portent la marque de l'expérience et dont l'intérêt est d'autant plus grand qu'Hérault est le seul orateur de la Révolution auquel on doive une technique de son art. On me permettra d'en parler avec quelque détail, afin de faire connaître tout l'artiste qu'était l'auteur du VOYAGE A MONTBARD.


--- II ---


C'est une question qui passionna d'abord ceux qui inaugurèrent en France la tribune politique : Faut-il lire les discours ou les dire ? Les deux méthodes avaient des adeptes. Quelques-uns les employaient tour à tour selon les circonstances. Quant à l'improvisation, ceux mêmes qui s'y abandonnaient semblaient s'en excuser comme d'une négligence ; aussi Hérault, qui d'ailleurs n'improvisa guère, ne pose-t-il que l'alternative : lire ou dire. « Ce n'est qu'en parlant, remarque-t-il, et non en lisant, que l'on peut rendre vraiment sensible ce qu'on dit. Quelques gens habiles pensent cependant qu'il faut lire, et c'est l'usage des avocats du parlement de Bordeaux : autrement on patauge, les idées se relâchent, s'affoiblissent, et s'éteignent bientôt. C'est ce qui arrive à M. de Saint-Fargeau : de là le mot favori de la plupart des avocats qui aiment tant à « causer d'affaires ». Pour [IX] concilier la nécessité d'un style plein et serré avec l'autre, je pense qu'il faut apprendre par coeur. Il est vrai qu'il en coûte, mais la gloire est au bout, et c'est la manière de surpasser ceux qui parlent et ceux qui écrivent. »

La mémoire est donc la première partie de l'art oratoire.

Mais comment faut-il apprendre un discours ?

«J'en médite, dit Hérault, l'idée principale, les idées accessoires, leur nombre, leur ordre, leur liaison, le plan de chaque partie, les divisions, les sous-divisions de chaque objet. J'ose affirmer qu'il est impossible alors de se tromper. Si l'on oublioit le discours, on seroit en état de le refaire sur-le-champ ; et combien d'ailleurs les phrases cadencées, un peu ornées, un peu brillantes, en un mot tout ce qui frappe l'amour-propre de celui qui doit parler, ne se gravent-elles pas dans la mémoire avec une extrême facilité ?

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Texte produit par Pierre Cubaud (cubaud@cnam.fr)