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Hérault de Séchelles

Voyage à Montbard (1785)


[I]

PRÉFACE


La vie publique de l'auteur du VOYAGE A MONTBARD est bien connue. Tour à tour avocat au Châtelet, avocat général au Parlement de Paris par la faveur de Marie-Antoinette, un des vainqueurs de la Bastille, juge élu à Paris, commissaire du roi près le tribunal de cassation, député de Paris à l'Assemblée législative et à la Convention nationale, membre du Comité de salut-public, guillotiné le 5 avril 1794, à l'age de trente-quatre ans, Hérault de Séchelles suivit la politique et la fortune de son ami Danton.

Mais on peut dire que, si considérable qu'ait été le rôle politique d'Hérault, il fut peut-être inférieur au mérite de cet homme distingué, une des [II] natures les plus fines qui aient paru dans la fin du XVIIIe siècle.

Ses opinions philosophiques étaient celles de Diderot, qu'il loue sans réserve dans les pages qu'on va lire, et il pensait ouvertement du mystère de l'origine des choses ce que Buffon en pensait au fond du coeur. Sa conversation était fort hardie. Peu après 89, l'avocat Bellart, invité chez Hérault au château d'Épone, fut scandalisé des propos qui s'y tenaient. « Le maître de la maison, dit-il, se reposoit des impiétés avec les obscénités. Enfin, en deux ou trois jours, je fis la découverte qu'il étoit matérialiste au plus haut degré. » Bellart se mit en tête de le contredire et lui débita une tirade aussi orthodoxe que la remontrance de Sganarelle à don Juan : « N'ayez pas peur, repartit l'autre : quoique matérialiste, je ne m'en occuperai pas moins de vous servir, s'il le faut. » En frimaire an II, Vilate assista à une conversation entre Hérault et Barère sur le but suprême de la Révolution. Hérault se plaçait surtout au point de vue philosophique. Il voyait déjà « les rêveries du paganisme et les folies de l'Église remplacées par la raison et la vérité ». « La nature, disait-il, sera le dieu des François, comme l'univers est son temple. » Il exprima donc son sentiment intime, quand, présidant la Convention nationale à la fête du 10 août 1793, il adressa devant le peuple une prière officielle à la Nature. D'autre part, dans [III] sa mission à Colmar, il avait fait une proclamation « pour remplacer, disait-il, les religions mensongères par l'étude de la Nature », et pris un arrêté qui rendait le décadi obligatoire et instituait une fête de la Raison dans chaque chef-lieu de canton.

A l'animosité de Robespierre, que firent naître de telles opinions, il eût fallu opposer des moeurs pures et rigides. Mais ce délicat (peut-être entièrement dégoûté) vécut dans une orgie élégante. Il était l'amant en titre de la belle et célèbre Sainte-Amaranthe. Il avait l'art de faire vivre ensemble et en paix, autour de lui, plusieurs jeunes femmes que sa beauté avait fascinées. Il leur faisait porter ses couleurs, le jaune et le violet, et l'ultra-jacobin Vincent dénonçait dans son journal l'impudence de ce jeune patriote débauché. Lui-même avoue tout cela dans des lettres galantes publiées par La Morency, et dont l'authenticité n'est pas discutable. Quand même son style ne décèlerait pas Hérault à chaque ligne, quel intérêt La Morency aurait-elle eu, en 1799, à forger les documents dont elle émaille son roman autobiographique d'ILLYRINE (* Illyrine, ou l'Écueil de l'inexpérience, an VII, 3 vol. in-8. *) ? Certes, ni les moeurs ni le style de cette joyeuse femme ne sont recommandables. C'est elle qui a écrit, avec son français et son coeur : « On n'est heureux qu'en en faisant : c'est ma morale. » [IV] Mais il y a dans ses confidences un air de vérité qu'accentue encore l'inconscience de l'auteur. Oui, la maîtresse du conventionnel Quinette était trop niaise pour imaginer les détails si vraisemblables, si vivants, de sa liaison avec Hérault, elle qui ne pourra soutenir que par un gros plagiat la réputation d'ILLYRINE.

C'est un piquant tableau des moeurs du temps que le récit de la visite qu'elle lui fit à la Convention, le jour où il fut nommé président pour la seconde fois (8 août 1793). Elle lui remit, peu après, une pétition en faveur du divorce, qu'Hérault lut à l'Assemblée, et, dit-il, fit applaudir. Mais, quelques jours plus tard, le galant président était envoyé en mission. « C'est au Comité de salut public, les chevaux mis aux voitures, que je vous écris, chère et belle : je pars à l'instant pour le Mont-Blanc avec une mission secrète et importante. » Et, après lui avoir parlé de ses maîtresses et de la perfidie de Sainte-Amaranthe, il termine ainsi : « Adieu, Suzanne. Allez quelquefois à l'Assemblée en mémoire de moi. Adieu. Les chevaux enragent, et l'on me croit nationalement occupé, tandis que je ne le suis qu'amoureusement de ma très chère Suzanne. » Quand Hérault revint, on fut toute à lui, et il acheta à sa maîtresse un bureau de loterie, dont le cautionnement de 30,000 francs fut prêté, affirme-t-elle, par l'abbé d'Espagnac. La Morency a ingénument tracé le tableau, tout pompéien, des distractions érotiques de [V] ses camarades d'orgie. Non moins naïvement, elle explique ce dévergondage : « C'est plutôt pour se tuer, dit-elle, qu'il prend du plaisir à l'excès que pour être heureux. » Hérault lui disait, sans doute aux premières semaines de 1794 : « De sinistres présages me menacent, je veux me hâter de vivre ; et, lorsqu'ils m'arracheront de la vie, ils croiront tuer un homme de trente-deux ans : eh bien ! j'en aurai quatre-vingts, car je veux vivre en un jour pour dix années. »

Il faut l'avouer : cet épicurisme, si indécent en de telles circonstances, donna de la couleur et de la force aux accusations robespierristes et compromit le parti de Danton.

Mais faut-il voir dans Hérault, comme dans tel ami d'Hébert, une brute qui se vautre ?

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Texte produit par Pierre Cubaud (cubaud@cnam.fr)