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Jacques Cazotte

Le Diable amoureux (1772)

-- Mon jeune camarade, j'aime beaucoup votre ignorance ; elle vaut bien la doctrine des autres : au moins vous n'êtes pas dans l'erreur, et si vous n'êtes pas instruit, vous êtes susceptible de l'être. Votre naturel, la franchise de votre caractère, la droiture de votre esprit, me plaisent : je sais quelque chose de plus que le commun des hommes ; jurez-moi le plus grand secret sur votre parole d'honneur, promettez de vous conduire avec prudence, et vous serez mon écolier.

-- L'ouverture que vous me faites, mon cher Soberano, m'est très agréable. La curiosité est ma plus forte passion. Je vous avouerai que naturellement j'ai peu d'empressement pour nos connaissances ordinaires ; elles m'ont toujours semblé trop bornées, et j'ai deviné cette sphère élevée dans laquelle vous voulez m'aider à m'élancer : mais quelle est la première clef de la science dont vous parlez ? Selon ce que disaient nos camarades en disputant, ce sont les esprits eux-mêmes qui nous instruisent ; peut-on se lier avec eux ?

-- Vous avez dit le mot, Alvare : on n'apprendrait rien de soi-même ; quant à la possibilité de nos liaisons, je vais vous en donner une preuve sans réplique."

Comme il finissait ce mot, il achevait sa pipe : il frappe trois coups pour faire sortir le peu de cendres qui restait au fond, la pose sur la table assez près de moi. Il élève la voix : "Calderon, dit-il, venez chercher ma pipe, allumez-la, et rapportez-la-moi."

Il finissait à peine le commandement, je vois disparaître la pipe ; et, avant que j'eusse pu raisonner sur les moyens, ni demander quel était ce Calderon chargé de ses ordres, la pipe allumée était de retour, et mon interlocuteur avait repris son occupation.

Il la continua quelque temps, moins pour savourer le tabac que pour jouir de la surprise qu'il m'occasionnait ; puis se levant, il dit : "Je prends la garde au jour, il faut que je repose. Allez vous coucher ; soyez sage, et nous nous reverrons."

Je me retirai plein de curiosité et affamé d'idées nouvelles, dont je me promettais de me remplir bientôt par le secours de Soberano. Je le vis le lendemain, les jours ensuite ; Je n'eus plus d'autre passion ; Je devins son ombre.

Je lui faisais mille questions ; il éludait les unes et répondait aux autres d'un ton d'oracle. Enfin, je le pressai sur l'article de la religion de ses pareils. "C'est, me répondit-il, la religion naturelle." Nous entrâmes dans quelques détails ; ces décisions cadraient plus avec mes penchants qu'avec mes principes ; mais je voulais venir à mon but et ne devais pas le contrarier.

"Vous commandez aux esprits, lui disais-je ; je veux comme vous être en commerce avec eux : je le veux, je le veux !

-- Vous êtes vif, camarade, vous n'avez pas subi votre temps d'épreuve ; vous n'avez rempli aucune des conditions sous lesquelles on peut aborder sans crainte cette sublime catégorie...

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Texte produit par Joël Surcouf (joel.surcouf@wanadoo.fr)