1. L'innocente jeunesse se rend a l'Université pleine d'une confiance naîve, et considere avec respect les prétendus possesseurs de tout savoir, et surtout le scrutateur présomptif de notre existence, l'homme dont elle entend proclamer avec enthousiasme la gloire par mille bouches et aux leçons duquel elle voit assister des hommes d'État chargés d'années. Elle se rend donc la, prete à apprendre, à croire et à adorer. Si maintenant on lui présente, sous le nom de philosophie, un amas d'idées a rebours, une doctrine de l'identité de l'etre et du non-etre, un assemblage de mots qui empeche tout cerveau sain de penser, un galimatias qui rappelle un asile d'aliénés, le tout chamarré par surcroît de traits d'une épaisse ignorance et d'une colossale inintelligence -- alors l'innocente jeunesse, dépourvue de jugement sera pleine de respect aussi pour un pareil fatras, s'imaginera que la philosophie consiste en un abracadabra de ce genre, et elle s'en ira avec un cerveau paralysé ou les mots désormais passeront pour des idées ; elle se trouvera donc a jamais dans l'impossibilité d'émettre des idées véritables, et son esprit sera châtré. De la sort donc une génération de cerveaux impuissants et a l'envers, mais excessivement prétentieux, débordant d'intentions, indigents d'idées, tels que ceux que nous avons sous les yeux. C'est l'histoire intellectuelle de milliers de gens dont la jeunesse et les meilleures forces ont été empestées par cette pseudo-philosophie ; or eux aussi auraient du participer au bienfait départi par la nature a de nombreuses générations, quand elle réussit a créer un cerveau comme celui de Kant. Avec la véritable philosophie, pratiquée par des âmes libres uniquement pour elle-meme, et n'ayant d'autre appui que celui de ses arguments, un pareil abus n'aurait jamais pu se produire. La philosophie universitaire seule, qui par sa nature meme est un moyen d'État -- raison pour laquelle celui-ci s'est melé de tout temps aux luttes philosophiques des Universités et a pris parti -- a pu faire naître réalistes et nominalistes, aristotéliciens et ramistes, cartésiens et aristotéliciens, Christian Wolf, Kant, Fichte, Hegel, ou tout autre. Au nombre des préjudices que la philosophie universitaire a causés a la philosophie véritable, il faut mentionner tout particulierement la mise a l'écart de la philosophie kantienne par les fanfaronnades des trois sophistes tant prônés. D'abord Fichte, puis Schelling, qui n'étaient d'ailleurs pas sans talent, enfin le lourd et répugnant charlatan Hegel, cet etre pernicieux qui a completement désorganisé et gâté les tetes de toute une génération, furent célébrés comme les hommes qui avaient conduit plus loin la philosophie de Kant, l'avaient dépassée, et, sautant en quelque sorte par-dessus son dos, avaient atteint, en meme temps, un degré plus élevé de la connaissance et de l'examen, du haut duquel ils considéraient a présent presque avec pitié le travail de Kant, précurseur de leur magnificence ; ils seraient donc les premiers véritables grands philosophes. ... Ils se hâtaient d'un pas rapide vers le nouveau temple de la sagesse sur l'autel duquel les trois farceurs s'asseyaient maintenant chacun a leur tour, au milieu des chants de louanges des adeptes abrutis. Aujourd'hui, malheureusement, il n'y a rien a apprendre de ces trois idoles de la philosophie universitaire ; leurs écrits vous font perdre le temps, et meme la tete, surtout ceux des hégéliens. ... 2. Il se rend en conséquence à son cours avec une confiance enfantine, et comme il y trouve un homme qui critique de haut, avec un air de supériorité consciente, tous les philosophes existants, il ne doute pas d'avoir frappé à la bonne porte, et il s'imprègne de toute la sagesse qui jaillit ici, aussi crédulement que s'il se trouvait devant le trépied de la pythie. Naturellement, il n'y a plus pour lui, à partir de ce moment, d'autre philosophie que celle de son professeur. Les véritables philosophes, les éducateurs des siècles, même de dix siècles, qui attendent silencieusement et sérieusement sur les rayons des bibliothèques les visiteurs en quête d'eux, il ne les lit pas, vu qu'ils ont vieilli et qu'on les a réfutés ; à l'instar de son professeur, il les a « derrière lui ». En revanche, il achète les enfants intellectuels de son maître qui font leur apparition dans les foires, et dont les éditions multipliées ne peuvent s'expliquer que par ce fait. Même après avoir quitté l'Université, chacun conserve en règle générale un attachement crédule pour son professeur, dont il a de bonne heure adopté la tendance d'esprit et avec la manière duquel il s'est familiarisé. C'est ainsi que de pareilles horreurs philosophiques obtiennent une diffusion qui, sans cela, leur serait impossible, et leurs auteurs, une célébrité productive. Autrement, comment aurait-il pu se faire, par exemple, qu'un amas de sottises tel que l'Introduction à la philosophie de Herbart ait eu cinq éditions ? On y retrouve la folle arrogance avec laquelle cet esprit décidément à l'envers considère Kant du haut de sa grandeur et le redresse sur un ton d'indulgence. Vous venez de lire des extraits de "La philosophie universitaire" de Arthur Schopenhauer. 3. Pour étouffer par avance toute révolte, il ne faut pas s'y prendre de manière violente. Il suffit de créer un conditionnement collectif si puissant que l'idée même de révolte ne viendra même plus à l'esprit des hommes. L'idéal serait de formater les individus dès la naissance en limitant leurs aptitudes biologiques innées. Ensuite, on poursuivrait le conditionnement en réduisant de manière drastique l'éducation, pour la ramener à une forme d'insertion professionnelle. Un individu inculte n'a qu'un horizon de pensée limité et plus sa pensée est bornée à des préoccupations médiocres, moins il peut se révolter. Il faut faire en sorte que l'accès au savoir devienne de plus en plus difficile et élitiste. Que le fossé se creuse entre le peuple et la science, que l'information destinée au grand public soit anesthésiée de tout contenu à caractère subversif. Je me sens obligé d'intervenir pour donner une précision sur des concepts comme « cultivé » ou « éducation ». Beaucoup de gens pensent faire partie des « éduqués » uniquement parce qu'ils ont passé du temps en classe, parce qu'ils ont lu beaucoup de livres, ou tout simplement parce qu'ils ont fréquenté certains gens qui se considèrent aussi très éduqués. NON; l'éducation veut dire autre chose: apprendre à penser par soi même. Il faut apprendre à entraîner son cerveau à réfléchir. Voir en.wikisource.org/wiki/The_Art_of_Literature/On_Thinking_for_Oneself Et NON: l'utilité de la lecture n'est pas d'accumuler une grande quantité d'informations aléatoires et déconnectées. Le but de la lecture est de se connecter à un cerveau supérieur chaque fois que vous ne trouvez pas cela dans votre cercle de connaissances (c'est-à-dire peut-être assez souvent). Et n'oubliez pas que les gens plus primitifs ont souvent une volonté plus forte que les gens très cultivés. Surtout pas de philosophie. Là encore, il faut user de persuasion et non de violence directe : on diffusera massivement, via la télévision, des divertissements flattant toujours l'émotionnel ou l'instinctif. On occupera les esprits avec ce qui est futile et ludique. Il est bon, dans un bavardage et une musique incessante, d'empêcher l'esprit de penser. On mettra la sexualité au premier rang des intérêts humains. Comme tranquillisant social, il n'y a rien de mieux. En général, on fera en sorte de bannir le sérieux de l'existence, de tourner en dérision tout ce qui a une valeur élevée, d'entretenir une constante apologie de la légèreté ; de sorte que l'euphorie de la publicité devienne le standard du bonheur humain et le modèle de la liberté. Le conditionnement produira ainsi de lui-même une telle intégration, que la seule peur -- qu'il faudra entretenir -- sera celle d'être exclus du système et donc de ne plus pouvoir accéder aux conditions nécessaires au bonheur. L'homme de masse, ainsi produit, doit être traité comme ce qu'il est : un veau, et il doit être surveillé comme doit l'être un troupeau. Tout ce qui permet d'endormir sa lucidité est bon socialement, ce qui menacerait de l'éveiller doit être ridiculisé, étouffé, combattu. Toute doctrine mettant en cause le système doit d'abord être désignée comme subversive et terroriste et ceux qui la soutiennent devront ensuite être traités comme tels. On observe cependant, qu'il est très facile de corrompre un individu subversif: il suffit de lui proposer del'argent et du pouvoir. --- Après vérification, ce texte est du à Serge Carfantan et non pas à A. Huxley ou G. Anders https://www.mathemathieu.fr/component/attachments/download/1374 4. « Risibles amours » de Milan Kundera Vous savez, dit Havel, j'ai eu pas mal d'intrigues avec des femmes dans ma vie, si bien que je n'en apprécie que davantage l'amitié masculine. Cette amitié qui n'est pas éclaboussé par la bêtise de l'érotisme est la seule valeur que j'ai connue dans la vie.