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Denis Diderot

Le neveu de Rameau (1762)

LUI.-- Ce que vous, moi et tous les autres font ; du bien, du mal et rien. Et puis j'ai eu faim, et j'ai mangé, quand l'occasion s'en est présentée ; après avoir mangé, j'ai eu soif, et j'ai bu quelquefois. Cependant la barbe me venait ; et quand elle a été venue, je l'ai fait raser.

MOI.-- Vous avez mal fait. C'est la seule chose qui vous manque, pour être un sage.

LUI.-- Oui-da. J'ai le front grand et ridé ; l'oeil ardent ; le nez saillant ; les joues larges ; le sourcil noir et fourni ; la bouche bien fendue ; la lèvre rebordée ; et la face carrée. Si ce vaste menton était couvert d'une longue barbe ; savez-vous que cela figurerait très bien en bronze ou en marbre.

MOI.-- A côté d'un César, d'un Marc-Aurèle, d'un Socrate.

LUI.-- Non, je serais mieux entre Diogène et Phryné. Je suis effronté comme l'un, et je fréquente volontiers chez les autres.

MOI.-- Vous portez-vous toujours bien ?

LUI.-- Oui, ordinairement ; mais pas merveilleusement aujourd'hui.

MOI.-- Comment ? Vous voilà avec un ventre de Silène ; et un visage...

LUI.-- Un visage qu'on prendrait pour son antagoniste. C'est que l'humeur qui fait sécher mon cher oncle engraisse apparemment son cher neveu.

MOI.-- A propos de cet oncle, le voyez-vous quelquefois ?

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