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[anonyme]

Lettres de la religieuse portugaise (fin du XVIIe siècle)

Adieu, je n'ai plus de peine à finir ma Lettre, que vous n'en avez eu à me quitter, peut-être, pour toujours. Adieu, je n'ose vous donner mille noms de tendresse, ni m'abandonner sans contrainte à tous mes mouvements : je vous aime mille fois plus que ma vie, et mille fois plus que je ne pense ; que vous m'êtes cher ! et que vous m'êtes cruel ! vous ne m'écrivez point, je n'ai pu m'empêcher de vous dire encore cela ; je vais recommencer, et l'Officier partira ; qu'importe, qu'il parte, j'écris plus pour moi que pour vous, je ne cherche qu'à me soulager ; aussi bien la longueur de ma lettre vous fera peur, vous ne la lirez point, qu'est-ce que j'ai fait pour être si malheureuse ? Et pourquoi avez-vous empoisonné ma vie ? Que ne suis-je née en un autre Pays ? Adieu, pardonnez-moi ? Je n'ose plus vous prier de m'aimer ; voyez où mon destin m'a réduite ? Adieu.


LETTRE TROISIÈME


Qu'est-ce que je deviendrai, et qu'est-ce que vous voulez que je fasse ? Je me trouve bien éloignée de tout ce que j'avais prévu : j'espérais que vous m'écririez de tous les endroits où vous passeriez, et que vos lettres seraient fort longues ; que vous soutiendriez ma Passion par l'espérance de vous revoir, qu'une entière confiance en votre fidélité me donnerait quelque sorte de repos, et que je demeurerais cependant dans un état assez supportable sans d'extrêmes douleurs : j'avais même pensé à quelques faibles projets de faire tous les efforts, dont je serais capable, pour me guérir, si je pouvais connaître bien certainement que vous m'eussiez tout à fait oubliée ; votre éloignement, quelques mouvements de dévotion ; la crainte de ruiner entièrement le reste de ma santé par tant de veilles, et par tant d'inquiétudes ; le peu d'apparence de votre retour : la froideur de votre Passion, et de vos derniers adieux ; votre départ, fondé sur d'assez méchants prétextes, et mille autres raisons, qui ne sont que trop bonnes, et que trop inutiles, semblaient me promettre un secours assez assuré, s'il me devenait nécessaire : n'ayant enfin à combattre que contre moi-même, je ne pouvais jamais me défier de toutes mes faiblesses, ni appréhender tout ce que je souffre aujourd'hui. Hélas ! que je suis à plaindre, de ne partager pas mes douleurs avec vous, et d'être toute seule malheureuse : cette pensée me tue, et je meurs de frayeur, que vous n'ayez jamais été extrêmement sensible à tous nos plaisirs. Oui : je connais présentement la mauvaise foi de tous vos mouvements : vous m'avez trahie toutes les fois que vous m'avez dit que vous étiez ravi d'être seul avec moi ; je ne dois qu'à mes importunités vos empressements, et vos transports : vous aviez fait de sang froid un dessein de m'enflammer, vous n'avez regardé ma Passion que comme une victoire, et votre coeur n'en a jamais été profondément touché ; n'êtes-vous pas bien malheureux, et n'avez-vous pas bien peu de délicatesse, de n'avoir su profiter qu'en cette manière de mes emportements ? Et comment est-il possible qu'avec tant d'amour je n'aie pu vous rendre tout à fait heureux ? Je regrette pour l'amour de vous seulement les plaisirs infinis, que vous avez perdus : faut- il que vous n'ayez pas voulu en jouir ? Ah ! si vous les connaissiez, vous trouveriez sans doute qu'ils sont plus sensibles que celui de m'avoir abusée, et vous auriez éprouvé qu'on est beaucoup plus heureux, et qu'on sent quelque chose de bien plus touchant, quand on aime violemment, que lorsqu'on est aimé. Je ne sais, ni ce que je suis, ni ce que je fais, ni ce que je désire : je suis déchirée par mille mouvements contraires : Peut-on s'imaginer un état si déplorable ? Je vous aime éperdument, et je vous ménage assez pour n'oser, peut-être, souhaiter que vous soyez agité des mêmes transports : je me tuerais, ou je mourrais de douleur sans me tuer, si j'étais assurée que vous n'avez jamais aucun repos, que votre vie, n'est que trouble, et qu'agitation, que vous pleurez sans cesse, et que tout vous est odieux ; je ne puis suffire à mes maux, comment pourrais-je supporter la douleur que me donneraient les vôtres, qui me seraient mille fois plus sensibles ? Cependant je ne puis aussi me résoudre à désirer que vous ne pensiez point à moi ; et à vous parler sincèrement, je suis jalouse avec fureur de tout ce qui vous donne de la joie, et qui touche votre coeur, et votre goût en France. Je ne sais pourquoi je vous écris, je vois bien que vous aurez seulement pitié de moi, et je ne veux point de votre pitié ; j'ai bien du dépit contre moi-même, quand je fais réflexion sur tout ce que je vous ai sacrifié : j'ai perdu ma réputation, je me suis exposée à la fureur de mes parents, à la sévérité des lois de ce Pays contre les Religieuses, et à votre ingratitude, qui me parait le plus grand de tous les malheurs : cependant je sens bien que mes remords ne sont pas véritables, que je voudrais du meilleur de mon coeur, avoir couru pour l'amour de vous de plus grands dangers, et que j'ai un plaisir funeste d'avoir hasardé ma vie et mon honneur ; tout ce que j'ai de plus précieux, ne devait-il pas être en votre disposition ? Et ne dois-je pas être bien aise de l'avoir employé comme j'ai fait : il me semble même que je ne suis guère contente ni de mes douleurs, ni de l'excès de mon amour, quoique je ne puisse, hélas ! me flatter assez pour être contente de vous ; je vis, infidèle que je suis, et je fais autant de choses pour conserver ma vie, que pour la perdre. Ah ! j'en meurs de honte : mon désespoir n'est donc que dans mes Lettres ? Si je vous aimais autant que je vous l'ai dit mille fois, ne serais-je pas morte, il y a longtemps ? Je vous ai trompé, c'est à vous de vous plaindre de moi : Hélas ! pourquoi ne vous en plaignez-vous pas ? Je vous ai vu partir, je ne puis espérer de vous voir jamais de retour, et je respire cependant : je vous ai trahi, je vous en demande pardon : mais ne me l'accordez pas ? Traitez-moi sévèrement ? Ne trouvez point que mes sentiments soient assez violents ? Soyez plus difficile à contenter ? Mandez-moi que vous voulez que je meure d'amour pour vous ? Et je vous conjure de me donner ce secours, afin que je surmonte la faiblesse de mon sexe, et que je finisse toutes mes irrésolutions par un véritable désespoir ; une fin tragique vous obligerait sans doute à penser souvent à moi, ma mémoire vous serait chère, et vous seriez, peut-être, sensiblement touché d'une mort extraordinaire, ne vaut-elle pas mieux que l'état où vous m'avez réduite ? Adieu, je voudrais bien ne vous avoir jamais vu. Ah ! je sens vivement la fausseté de ce sentiment, et je connais dans le moment que je vous écris, que j'aime bien mieux être malheureuse en vous aimant que de ne vous avoir jamais vu ; je consens donc sans murmure à ma mauvaise destinée, puisque vous n'avez pas voulu la rendre meilleure. Adieu, promettez-moi de me regretter tendrement, si je meurs de douleur, et qu'au moins la violence de ma Passion vous donne du dégoût et de l'éloignement pour toutes choses ; cette consolation me suffira, et s'il faut que je vous abandonne pour toujours, je voudrais bien ne vous laisser pas à une autre. Ne seriez-vous pas bien cruel de vous servir de mon désespoir, pour vous rendre plus aimable, et pour faire voir que vous avez donné la plus grande Passion du monde ? Adieu encore une fois, je vous écris des lettres trop longues, je n'ai pas assez d'égard pour vous, je vous en demande pardon, et j'ose espérer que vous aurez quelque indulgence pour une pauvre insensée, qui ne l'était pas, comme vous savez, avant qu'elle vous aimât. Adieu, il me semble que je vous parle trop souvent de l'état insupportable où je suis : cependant je vous remercie dans le fond de mon coeur du désespoir que vous me causez, et je déteste la tranquillité, où j'ai vécu, avant que je vous connusse. Adieu, ma Passion augmente à chaque moment. Ah ! que j'ai de choses à vous dire !


LETTRE QUATRIÈME


Il me semble que je fais le plus grand tort du monde aux sentiments de mon coeur, de tacher de vous les faire connaître en les écrivant : que je serais heureuse, si vous en pouviez bien juger par la violence des vôtres ! mais je ne dois pas m'en rapporter à vous, et je ne puis m'empêcher de vous dire, bien moins vivement que je ne le sens, que vous ne devriez pas me maltraiter, comme vous faites, par un oubli, qui me met au désespoir, et qui est même honteux pour vous ; il est bien juste au moins, que vous souffriez que je me plaigne des malheurs, que j'avais bien prévus, quand je vous vis résolu de me quitter ; je connais bien que je me suis abusée, lorsque j'ai pensé, que vous auriez un procédé de meilleure foi, qu'on n'a accoutumé d'avoir, parce que l'excès de mon amour me mettait, ce semble, au- dessus de toutes sortes de soupçons, et qu'il méritait plus de fidélité, qu'on n'en trouve d'ordinaire : mais la disposition, que vous avez à me trahir, l'emporte enfin sur la justice, que vous devez à tout ce que j'ai fait pour vous ; je ne laisserais pas d'être bien malheureuse, si vous ne m'aimiez, que parce que je vous aime, et je voudrais tout devoir à votre seule inclination ; mai je suis si éloignée d'être en cet état, que je n'ai pas reçu une seule lettre de vous depuis six mois : j'attribue tout ce malheur à l'aveuglement, avec lequel je me suis abandonnée à m'attacher à vous : ne devais-je pas prévoir que mes plaisirs finiraient plus tôt que mon amour ? Pouvais-je espérer, que vous demeureriez toute votre vie en Portugal, et que vous renonceriez à votre fortune et à votre Pays, pour ne penser qu'à moi ? mes douleurs ne peuvent recevoir aucun soulagement, et le souvenir de mes plaisirs me comble de désespoir : Quoi ! tous mes désirs seront donc inutiles, et je ne vous verrai jamais en ma chambre avec toute l'ardeur, et tout l'emportement, que vous me faisiez voir ? mais, hélas ! je m'abuse, et je ne connais que trop, que tous les mouvements qui occupaient ma tête, et mon coeur n'étaient excités en vous que par quelques plaisirs, et qu'ils finissaient aussi tôt qu'eux ; il fallait que dans ces moments trop heureux j'appelasse ma raison à mon secours pour modérer l'excès funeste de mes délices, et pour m'annoncer tout ce que je souffre présentement : mais je me donnais toute à vous, et je n'étais pas en état de penser à ce qui eut pu empoisonner ma joie, et m'empêcher de jouir pleinement des témoignages ardents de votre passion ; je m'apercevais trop agréablement que j'étais avec vous, pour penser que vous seriez un jour éloigné de moi : je me souviens pourtant de vous avoir dit quelquefois que vous me rendriez malheureuse : mais ces frayeurs étaient bientôt dissipées, et je prenais plaisir à vous les sacrifier, et à m'abandonner à l'enchantement, et à la mauvaise foi de vos protestations : je vois bien le remède à tous mes maux, et j'en serais bientôt délivrée si je ne vous aimais plus : mais, hélas ! quel remède ; non, j'aime mieux souffrir davantage, que vous oublier. Hélas ! cela dépend-il de moi ? Je ne puis me reprocher d'avoir souhaité un seul moment de ne vous plus aimer ; vous êtes plus à plaindre que je ne suis, et il vaut mieux souffrir tout ce que je souffre, que de jouir des plaisirs languissants, que vous donnent vos Maîtresses de France : je n'envie point votre indifférence, et vous me faites pitié : Je vous défie de m'oublier entièrement : Je me flatte de vous avoir mis en état de n'avoir sans moi que des plaisirs imparfaits, et je suis plus heureuse que vous, puisque je suis plus occupée. L'on m'a faite depuis peu Portière en ce Couvent ; tous ceux qui me parlent, croient que je suis folle, je ne sais ce que je leur réponds : Et il faut que les Religieuses soient aussi insensées que moi, pour m'avoir crue capable de quelques soins. Ah ! j'envie le bonheur d'Emanuel et de Francisque ; pourquoi ne suis-je pas incessamment avec vous, comme eux ? je vous aurais suivi, et je vous aurais assurément servi de meilleur coeur, je ne souhaite rien en ce monde, que vous voir : au moins souvenez-vous de moi ? je me contente de votre souvenir : mais je n'ose m'en assurer ; je ne bornais pas mes espérances à votre souvenir, quand je vous voyais tous les jours : mais vous m'avez bien appris, qu'il faut que je me soumette à tout ce que vous voudrez : cependant je ne me repens point de vous avoir adoré, je suis bien aise que vous m'ayez séduite : votre absence rigoureuse, et peut-être éternelle, ne diminue en rien l'emportement de mon amour : je veux que tout le monde le sache, je n'en fais point un mystère, et je suis ravie d'avoir fait tout ce que J'ai fait pour vous contre toute sorte de bienséance : je ne mets plus mon honneur, et ma religion qu'à vous aimer éperdument toute ma vie, puisque j'ai commencé à vous aimer : je ne vous dis point toutes ces choses pour vous obliger à m'écrire. Ah ! ne vous contraignez point, je ne veux de vous, que ce qui viendra de votre mouvement, et je refuse tous les témoignages de votre amour, dont vous pourriez vous empêcher : j'aurai du plaisir à vous excuser, parce que vous aurez, peut-être, du plaisir à ne pas prendre la peine de m'écrire : et je sens une profonde disposition à vous pardonner toutes vos fautes. Un Officier Français a eu la charité de me parler ce matin plus de trois heures de vous, il m'a dit que la paix de France était faite : si cela est, ne pourriez-vous pas me venir voir, et m'emmener en France ? Mais je ne le mérite pas, faites tout ce qu'il vous plaira, mon amour ne dépend plus de la manière dont vous me traiterez ; depuis que vous êtes parti, je n'ai pas eu un seul moment de santé, et je n'ai aucun plaisir qu'en nommant votre nom mille fois le jour ; quelques Religieuses, qui savent l'état déplorable, où vous m'avez plongée, me parlent de vous fort souvent : je sors le moins qu'il m'est possible de ma chambre, où vous êtes venu tant de fois, et je regarde sans cesse votre portrait, qui m'est mille fois plus cher que ma vie, il me donne quelque plaisir : mais il me donne aussi bien de la douleur, lorsque je pense que je ne vous reverrai, peut-être, jamais ; pourquoi faut-il qu'il soit possible que je ne vous verrai, peut- être, jamais ? M'avez-vous pour toujours abandonnée ? Je suis au désespoir, votre pauvre Mariane n'en peut plus, elle s'évanouit en finissant cette Lettre. Adieu, adieu, ayez pitié de moi.


LETTRE CINQUIÈME


Je vous écris pour la dernière fois, et j'espère vous faire connaître par la différence des termes, et de la manière de cette Lettre, que vous m'avez enfin persuadée que vous ne m'aimiez plus, et qu'ainsi je ne dois plus vous aimer : Je vous renverrai par la première voie tout ce qui me reste encore de Vous : Ne craignez pas que je vous écrive ; je ne mettrai pas même votre nom au-dessus du paquet ; j'ai chargé de tout ce détail Dona Brites, que j'avais accoutumée à des confidences bien éloignées de celles-ci ; ses soins me seront moins suspects que les miens ; elle prendra toutes les précautions nécessaires, afin de pouvoir m'assurer que vous avez reçu le portrait et les bracelets que vous m'avez donnés : Je veux cependant que vous sachiez que je me sens, depuis quelques jours, en état de brûler, et de déchirer ces gages de votre Amour, qui m'étaient si chers, mais je vous ai fait voir tant de faiblesse, que vous n'auriez jamais cru que j'eusse pu devenir capable d'une telle extrémité ; je veux donc jouir de toute la peine que j'ai eue à m'en séparer, et vous donner au moins quelque dépit : Je vous avoue à ma honte et à la vôtre, que je me suis trouvée plus attachée que je ne veux vous le dire, à ces bagatelles, et que j'ai senti que j'avais un nouveau besoin de toutes mes réflexions, pour me défaire de chacune en particulier, lors même que je me flattais de n'être plus attachée à vous : Mais on vient à bout de tout ce qu'on veut, avec tant de raisons : Je les ai mises entre les mains de Dona Brites ; que cette résolution m'a coûté de larmes ! Après mille mouvements et mille incertitudes que vous ne connaissez pas, et dont je ne vous rendrai pas compte assurément. Je l'ai conjurée de ne m'en parler jamais, de ne me les rendre jamais, quand même je les demanderais pour les revoir encore une fois, et de vous les renvoyer, enfin, sans m'en avertir.

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Texte produit par Alain Hurtig (alhg@imaginet.fr)