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Lettres de la religieuse portugaise (fin du XVIIe siècle)

Lettres de la religieuse portugaise

(Anonyme de la fin du XVIIe siècle)

Les "Lettres portugaises traduites en français" ont paru, sans nom d'auteur, le 4 janvier 1669, chez le libraire Claude Barbin, "au Palais, sur le second perron de la Sainte-Chapelle". L'auteur en serait un certain chevalier de Guilleragues, dont on ne connaît que ce seul texte.


LETTRE PREMIÈRE


Considère, mon amour, jusqu'à quel excès tu as manqué de prévoyance. Ah malheureux ! tu as été trahi, et tu m'as trahie par des espérances trompeuses. Une passion sur laquelle tu avais fait tant de projets de plaisirs, ne te cause présentement qu'un mortel désespoir, qui ne peut être comparé qu'à la cruauté de l'absence, qui le cause. Quoi ? cette absence, à laquelle ma douleur, toute ingénieuse qu'elle est, ne peut donner un nom assez funeste, me privera donc pour toujours de regarder ces yeux, dans lesquels je voyais tant d'amour et qui me faisaient connaître des mouvements, qui me comblaient de joie, qui me tenaient lieu de toutes choses, et qui enfin me suffisaient ? Hélas ! les miens sont privés de la seule lumière qui les animait, il ne leur reste que des larmes, et je ne les ai employés à aucun usage, qu'à pleurer sans cesse, depuis que j'appris que vous étiez enfin résolu à un éloignement, qui m'est si insupportable, qu'il me fera mourir en peu de temps. Cependant il me semble que j'ai quelque attachement pour des malheurs, dont vous êtes la seule cause : Je vous ai destiné ma vie aussitôt que je vous ai vu ; et je sens quelque plaisir en vous la sacrifiant. J'envoie mille fois le jour mes soupirs vers vous, ils vous cherchent en tous lieux, et ils ne me rapportent pour toute récompense de tant d'inquiétudes, qu'un avertissement trop sincère, que me donne ma mauvaise fortune, qui a la cruauté de ne souffrir pas que je me flatte, et qui me dit à tous moments : Cesse, cesse, Mariane infortunée, de te consumer vainement, et de chercher un Amant que tu ne verras jamais ; qui a passé les Mers pour te fuir, qui est en France au milieu des plaisirs, qui ne pense pas un seul moment à tes douleurs, et qui te dispense de tous ces transports, desquels il ne te sait aucun gré ? Mais non, je ne puis me résoudre à juger si injurieusement de vous, et je suis trop intéressée à vous justifier : Je ne veux point m'imaginer que vous m'avez oubliée. Ne suis-je pas assez malheureuse sans me tourmenter par de faux soupçons ? Et pourquoi ferais-je des efforts pour ne me plus souvenir de tous les soins que vous avez pris de me témoigner de l'amour ? J'ai été si charmée de tous ces soins, que je serais bien ingrate, si je ne vous aimais avec les mêmes emportements, que ma Passion me donnait, quand je jouissais des témoignages de la votre. Comment se peut-il faire que les souvenirs des moments si agréables, soient devenus si cruels ? et faut-il que contre leur nature, ils ne servent qu'à tyranniser mon coeur ? Hélas ! votre dernière lettre le réduisit en un étrange état : il eut des mouvements si sensibles qu'il fit, ce semble, des efforts pour se séparer de moi, et pour vous aller trouver : je fus si accablée de toutes ces émotions violentes, que je demeurai plus de trois heures abandonnée de tous mes sens : je me défendis de revenir à une vie que je dois perdre pour vous, puisque je ne puis la conserver pour vous, je revis enfin, malgré moi, la lumière, je me flattais de sentir que je mourais d'amour ; et d'ailleurs j'étais bien aise de n'être plus exposée à voir mon coeur déchiré par la douleur de votre absence. Après ces accidents, j'ai eu beaucoup de différentes indispositions : mais, puis-je jamais être sans maux, tant que je ne vous verrai pas ? Je les supporte cependant sans murmurer, puisqu'ils viennent de vous. Quoi ? est-ce là la récompense, que vous me donnez, pour vous avoir si tendrement aimé ? Mais il n'importe, je suis résolue à vous adorer toute ma vie, et a ne voir jamais personne ; et je vous assure que vous ferez bien aussi de n'aimer personne. Pourriez-vous être content d'une Passion moins ardente que la mienne ? Vous trouverez, peut-être, plus de beauté (vous m'avez pourtant dit autrefois, que j'étais assez belle) mais vous ne trouverez jamais tant d'amour, et tout le reste n'est rien. Ne remplissez plus vos lettres de choses inutiles, et ne m'écrivez plus de me souvenir de vous. Je ne puis vous oublier, et je n'oublie pas aussi, que vous m'avez fait espérer, que vous viendriez passer quelque temps avec moi. Hélas ! pourquoi n'y voulez-vous pas passer toute votre vie ? S'il m'était possible de sortir de ce malheureux Cloître, je n'attendrais pas en Portugal l'effet de vos promesses : j'irais, sans garder aucune mesure, vous chercher, vous suivre, et vous aimer par tout le monde : je n'ose me flatter que cela puisse être, je ne veux point nourrir une espérance, qui me donnerait assurément quelque plaisir, et je ne veux plus être sensible qu'aux douleurs. J'avoue cependant que l'occasion, que mon frère m'a donnée de vous écrire, a surpris en moi quelques mouvements de joie, et qu'elle a suspendu pour un moment le désespoir, où je suis. Je vous conjure de me dire, pourquoi vous vous êtes attaché à m'enchanter, comme vous avez fait, puisque vous saviez bien que vous deviez m'abandonner ? Et pourquoi avez-vous été si acharné à me rendre malheureuse ? que ne me laissiez-vous en repos dans mon Cloître ? vous avais-je fait quelque injure ? Mais je vous demande pardon : je ne vous impute rien : je ne suis pas en état de penser à ma vengeance, et j'accuse seulement la rigueur de mon Destin. Il me semble qu'en nous séparant, il nous a fait tout le mal que nous pouvions craindre ; il ne saurait séparer nos coeurs ; l'amour qui est plus puissant que lui, les a unis pour toute notre vie. Si vous prenez quelque intérêt à la mienne, écrivez-moi souvent. Je mérite bien que vous preniez quelque soin de m'apprendre l'état de votre coeur, et de votre fortune, surtout venez, me voir. Adieu, je ne puis quitter ce papier, il tombera entre vos mains, je voudrais bien avoir le même bonheur : Hélas ! insensée que je suis, je m'aperçois bien que cela n'est pas possible. Adieu, je n'en puis plus. Adieu, aimez- moi toujours ; et faites-moi souffrir encore plus de maux.


LETTRE DEUXIÈME


Votre Lieutenant vient de me dire, qu'une tempête vous a obligé de relâcher au royaume d'Algarve : je crains que vous n'ayez beaucoup souffert sur la mer, et cette appréhension m'a tellement occupée, que je n'ai plus pensé à tous mes maux ; êtes-vous bien persuadé que votre Lieutenant prenne plus de part que moi à tout ce qui vous arrive ? Pourquoi en est-il mieux informé, et enfin pourquoi ne m'avez-vous point écrit ? Je suis bien malheureuse, si vous n'en avez trouvé aucune occasion depuis votre départ, et je le suis bien davantage, si vous en avez trouvé sans m'écrire ; votre injustice et votre ingratitude sont extrêmes : mais je serais au désespoir, si elles vous attiraient quelque malheur, et j'aime beaucoup mieux qu'elles demeurent sans punition, que si j'en étais vengée : je résiste à toutes les apparences, qui me devraient persuader que vous ne m'aimez guère, et je sens bien plus de disposition à m'abandonner aveuglément à ma Passion, qu'aux raisons que vous me donnez de me plaindre de votre peu de soin : que vous m'auriez épargné d'inquiétudes, si votre procédé eût été aussi languissant les premiers jours que je vous vis, qu'il m'a paru depuis quelque temps ! mais qui n'aurait été abusée, comme moi, par tant d'empressements, et à qui n'eussent-ils pas paru sincères ? Qu'on a de peine à se résoudre à soupçonner longtemps la bonne foi de ceux qu'on aime ! je vois bien que la moindre excuse vous suffit, et sans que vous preniez le soin de m'en faire, l'amour que j'ai pour vous vous sert si fidèlement, que je ne puis consentir a vous trouver coupable, que pour jouir du sensible plaisir de vous justifier moi-même. Vous m'avez consommée par vos assiduités, vous m'avez enflammée par vos transports, vous m'avez charmée par vos complaisances, vous m'avez assurée par vos serments, mon inclination violente m'a séduite, et les suites de ces commencements si agréables, et si heureux ne sont que des larmes, que des soupirs, et qu'une mort funeste, sans que je puisse y porter aucun remède. Il est vrai que j'ai eu des plaisirs bien surprenants en vous aimant : mais ils me coûtent d'étranges douleurs, et tous les mouvements, que vous me causez, sont extrêmes. Si j'avais résisté avec opiniâtreté à votre amour, si je vous avais donné quelque sujet de chagrin, et de jalousie pour vous enflammer davantage, si vous aviez remarqué quelque ménagement artificieux dans ma conduite, si j'avais enfin voulu opposer ma raison à l'inclination naturelle que j'ai pour vous, dont vous me fîtes bientôt apercevoir (quoique mes efforts eussent été sans doute inutiles) vous pourriez me punir sévèrement, et vous servir de votre pouvoir : mais vous me parûtes aimable, avant que vous m'eussiez dit que vous m'aimiez, vous me témoignâtes une grande Passion, j'en fus ravie, et je m'abandonnai à vous aimer éperdument ; vous n'étiez point aveuglé, comme moi, pourquoi avez-vous donc souffert que je devinsse en l'état où je me trouve ? qu'est-ce que vous vouliez faire de tous mes emportements, qui ne pouvaient vous être que très importuns ? Vous saviez bien que vous ne seriez pas toujours en Portugal, et pourquoi m'y avez-vous voulu choisir pour me rendre si malheureuse ? Vous eussiez trouvé sans doute en ce Pays quelque femme qui eut été plus belle, avec laquelle vous eussiez eu autant de plaisirs, puisque vous n'en cherchiez que de grossiers, qui vous eût fidèlement aimé aussi longtemps qu'elle vous eut vu, que le temps eut pu consoler de votre absence, et que vous auriez pu quitter sans perfidie, et sans cruauté : ce procédé est bien plus d'un Tyran, attaché à persécuter, que d'un Amant, qui ne doit penser qu'à plaire. Hélas ! Pourquoi exercez-vous tant de rigueurs sur un coeur, qui est à vous ? Je vois bien que vous êtes aussi facile à vous laisser persuader contre moi, que je l'ai été à me laisser persuader en votre faveur ; j'aurais résisté, sans avoir besoin de tout mon amour, et sans m'apercevoir que j'eusse rien fait d'extraordinaire, à de plus grandes raisons, que ne peuvent être celles qui vous ont obligé à me quitter : elles m'eussent paru bien faibles, et il n'y en a point, qui eussent jamais pu m'arracher d'auprès de vous : mais vous avez voulu profiter des prétextes, que vous avez trouvés de retourner en France ; un vaisseau partait, que ne le laissiez-vous partir ? Votre famille vous avait écrit, ne savez-vous pas toutes les persécutions que j'ai souffertes de la mienne ? Votre honneur vous engageait à m'abandonner, ai-je pris quelque soin du mien ? Vous étiez obligé d'aller servir votre Roi, si tout ce qu'on dit de lui est vrai, il n'a aucun besoin de votre secours, et il vous aurait excusé.

J'eusse été trop heureuse, si nous avions passé notre vie ensemble : mais puisqu'il fallait qu'une absence cruelle nous séparât, il me semble que je dois être bien aise de n'avoir pas été infidèle, et je ne voudrais pas pour toutes les choses du monde, avoir commis une action si noire : Quoi ? vous avez connu le fond de mon coeur, et de ma tendresse, et vous avez pu vous résoudre à me laisser pour jamais, et à m'exposer aux frayeurs, que je dois avoir, que vous ne vous souvenez plus de moi, que pour me sacrifier à une nouvelle Passion ? Je vois bien que je vous aime, comme une folle : cependant je ne me plains point de toute la violence des mouvements de mon coeur, je m'accoutume à ses persécutions, et je ne pourrais vivre sans un plaisir, que je découvre, et dont je jouis en vous aimant au milieu de mille douleurs : mais je suis sans cesse persécutée avec un extrême désagrément par la haine, et par le dégoût que j'ai pour toutes choses ; ma famille, mes amis et ce Couvent me sont insupportables ; tout ce que je suis obligée de voir, et tout ce qu'il faut que je fasse de toute nécessité, m'est odieux : je suis si jalouse de ma Passion, qu'il me semble que toutes mes actions, et que tous mes devoirs vous regardent : Oui, je fais quelque scrupule, si je n'emploie tous les moments de ma vie pour vous ; que ferais-je, hélas ! sans tant de haine, et sans tant d'amour, qui remplissent mon coeur ? Pourrais-je survivre à ce qui m'occupe incessamment, pour mener une vie tranquille et languissante ? Ce vide et cette insensibilité ne peuvent me convenir. Tout le monde s'est aperçu du changement entier de mon humeur, de mes manières, et de ma personne ; ma Mère m'en a parlé avec aigreur, et ensuite avec quelque bonté, je ne sais ce que je lui ai répondu, il me semble que je lui ai tout avoué. Les Religieuses les plus sévères ont pitié de l'état où je suis, il leur donne même quelque considération, et quelque ménagement pour moi ; tout le monde est touché de mon amour, et vous demeurez dans une profonde indifférence, sans m'écrire, que des lettres froides ; pleines de redites ; la moitié du papier n'est pas remplie, et il paraît grossièrement que vous mourez d'envie de les avoir achevées. Dona Brites me persécuta ces jours passés pour me faire sortir de ma chambre, et croyant me divertir, elle me mena promener sur le Balcon, d'où l'on voit Mertola ; je la suivis, et je fus aussitôt frappée d'un souvenir cruel, qui me fit pleurer tout le reste du jour : elle me ramena, et je me jetai sur mon lit, où je fis mille réflexions sur le peu d'apparence que je vois de guérir jamais : ce qu'on fait pour me soulager aigrit ma douleur, et je retrouve dans les remèdes mêmes des raisons particulières de m'affliger : je vous ai vu souvent passer en ce lieu avec un air qui me charmait, et j'étais sur ce Balcon le jour fatal que je commençai à sentir les premiers effets de ma Passion malheureuse : il me sembla que vous vouliez me plaire, quoique vous ne me connussiez pas : je me persuadai que vous m'aviez remarquée entre toutes celles qui étaient avec moi, je m'imaginai que lorsque vous vous arrêtiez, vous étiez bien aise que je vous visse mieux, et j'admirasse votre adresse, et votre bonne grâce, lorsque vous poussiez votre cheval, j'étais surprise de quelque frayeur lorsque vous le faisiez passer dans un endroit difficile : enfin je m'intéressais secrètement à toutes vos actions, je sentais bien que vous ne m'étiez point indifférent, et je prenais pour moi tout ce que vous faisiez : Vous ne connaissez que trop les suites de ces commencements, et quoique je n'aie rien à ménager, je ne dois pas vous les écrire, de crainte de vous rendre plus coupable, s'il est possible, que vous ne l'êtes, et d'avoir à me reprocher tant d'efforts inutiles pour vous obliger à m'être fidèle. Vous ne le serez point : Puis-je espérer de mes lettres, et de mes reproches ce que mon amour et mon abandonnement n'ont pu sur votre ingratitude ? Je suis trop assurée de mon malheur, votre procédé injuste ‹ ne me laisse pas la moindre raison d'en douter, et je dois tout appréhender, puisque vous m'avez abandonnée ; N'aurez-vous de charmes que pour moi, et ne paraîtrez-vous pas agréable à d'autres yeux ? Je crois que je ne serai pas fâchée que les sentiments des autres justifient les miens en quelque façon, et je voudrais que toutes les femmes de France vous trouvassent aimable, qu'aucune ne vous aimât, et qu'aucune ne vous plut : ce projet est ridicule, et impossible ; néanmoins, j'ai assez éprouvé que vous n'êtes guère capable d'un grand entêtement, et que vous pourrez bien m'oublier sans aucun secours, et sans y être contraint par une nouvelle Passion : peut-être, voudrais-je que vous eussiez quelque prétexte raisonnable ? Il est vrai que je serais plus malheureuse, mais vous ne seriez pas si coupable : je vois bien que vous demeurerez en France sans de grands plaisirs, avec une entière liberté ; la fatigue d'un long voyage, quelque petite bienséance, et la crainte de ne répondre pas à mes transports, vous retiennent : Ah ! ne m'appréhendez point ? Je me contenterai de vous voir de temps en temps, et de savoir seulement que nous sommes en même lieu : mais je me flatte, peut-être, et vous serez plus touché de la rigueur et de la sévérité d'une autre, que vous ne l'avez été de mes faveurs ; est- il possible que vous serez enflammé par de mauvais traitements ? Mais avant que de vous engager dans une grande Passion, pensez bien à l'excès de mes douleurs, à l'incertitude de mes projets, à la diversité de mes mouvements, à l'extravagance de mes Lettres, à mes confiances, à mes désespoirs, à mes souhaits, à ma jalousie ? Ah ! vous allez vous rendre malheureux ; je vous conjure de profiter de l'état où je suis, et qu'au moins ce que je souffre pour vous, ne vous soit pas inutile ? Vous me fîtes, il y a cinq ou six mois, une fâcheuse confidence, et vous m'avouâtes de trop bonne foi que vous aviez aimé une Dame en votre Pays : si elle vous empêche de revenir, mandez-le-moi sans ménagement ? afin que je ne languisse plus ; quelque reste d'espérance me soutient encore, et je serai bien aise (si elle ne doit avoir aucune suite) de la perdre tout à fait, et de me perdre moi-même ; envoyez-moi son portrait avec quelqu'une de ses lettres ? Et écrivez-moi tout ce qu'elle vous dit ? J'y trouverais, peut-être, des raisons de me consoler, ou de m'affliger davantage ; je ne puis demeurer plus longtemps dans l'état où je suis, et il n'y a point de changement qui ne me soit favorable ? Je voudrais aussi avoir le portrait de votre frère et de votre Belle-soeur : tout ce qui vous est quelque chose m'est fort cher, et je suis entièrement dévouée à ce qui vous touche : je ne me suis laissé aucune disposition de moi-même : il y a des moments, où il me semble que j'aurais assez de soumission pour servir celle que vous aimez ; vos mauvais traitements et vos mépris m'ont tellement abattue, que je n'ose quelquefois penser seulement, qu'il me semble que je pourrais être jalouse sans vous déplaire, et que je crois avoir le plus grand tort du monde de vous faire des reproches : je suis souvent convaincue que je ne dois point vous faire voir avec fureur, comme je fais, des sentiments, que vous désavouez. Il y a longtemps qu'un Officier attend votre Lettre ; j'avais résolu de l'écrire d'une manière à vous la faire recevoir sans dégoût : mais elle est trop extravagante, il faut la finir : Hélas ! il n'est pas en mon pouvoir de m'y résoudre, il me semble que je vous parle, quand je vous écris, et que vous m'êtes un peu plus présent : La première ne sera pas si longue, ni si importune, vous pourrez l'ouvrir et la lire sur l'assurance que je vous donne ; il est vrai que je ne dois point vous parler d'une passion qui vous déplaît, et je ne vous en parlerai plus. Il y aura un an dans peu de jours que je m'abandonnai toute à vous, sans ménagement : votre Passion me paraissait fort ardente, et fort sincère, et je n'eusse jamais pensé que mes faveurs vous eussent assez rebuté, pour vous obliger à faire cinq cents lieues, et à vous exposer à des naufrages pour vous en éloigner ; personne ne m'était redevable d'un pareil traitement : vous pouvez vous souvenir de ma pudeur, de ma confusion et de mon désordre, mais vous ne vous souvenez pas de ce qui vous engagerait à m'aimer malgré vous. L'Officier qui doit vous porter cette Lettre me mande pour la quatrième fois, qu'il veut partir ; qu'il est pressant ! il abandonne sans doute quelque malheureuse en ce Pays.

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Texte produit par Alain Hurtig (alhg@imaginet.fr)