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Joseph de Maistre

Les Soirées de Saint-Pétersbourg (1821)


Jupiter._

Virg.

À la suite des SOIRÉES, on lira un opuscule intitulé: _Éclaircissement sur les sacrifices;_ et nous ne craignons pas de dire que, dans ces deux volumes, il n'est rien peut-être qui soit de nature à produire de plus profondes impressions. L'auteur, avec sa prodigieuse érudition, qui semble ici se surpasser elle-même par de nouveaux prodiges, parcourt le monde entier et compulse les annales les plus obscures et les plus cachées, pour nous y montrer le _sacrifice,_ et le _sacrifice SANGLANT,_ établi dans tous les temps, dans tous les lieux, et sur la foi d'une tradition universelle et immémoriale, qui a partout enseigné et persuadé partout: « Que la chair et le sang sont coupables, et que le ciel est irrité contre la chair et le sang; que dans l'effusion du sang il est une vertu _expiatrice;_ que le sang coupable peut être _racheté_ par le sang innocent. » Croyance inexplicable que ni la raison ni la folie n'ont pu inventer, encore moins faire adopter généralement; croyance mystérieuse, qui a sa racine dans les dernières profondeurs du coeur humain, et qui, dans ses applications les plus cruelles, les plus révoltantes, les plus erronées, se rattache par d'invisibles liens à la plus grande des vérités. L'auteur poursuit cette vérité aux traces de lumières qu'elle laisse après elle à travers la nuit profonde de l'idolâtrie. Au milieu des erreurs de tant de fausses religions, il retrouve plus ou moins altérés tous les dogmes de la véritable, toutes ses promesses, tous ses mystères, toutes les destinées de l'homme, et vient finir en se prosternant devant le _sacrifice_ incompréhensible qui _a tout consommé,_ aux pieds de la grande Victime qui a opéré _le salut_ du monde entier _par le sang._ Rien de plus frappant que ce morceau: c'est un tableau que, dans toutes ses parties, on peut dire achevé.

Hélas! Il n'en est pas ainsi du livre même des SOIRÉES. Il était arrêté que M. le comte de Maistre ne recevrait point ici-bas la dernière couronne due à ses longs et pieux travaux; il travaillait encore à ce bel ouvrage, lorsque Dieu a voulu l'appeler à lui pour lui donner dans un monde meilleur, cette couronne _« que la rouille et les vers n'altéreront point; cette couronne incorruptible qui ne sera point enlevée (1). » _ Ceux qui l'aimaient ne se consoleront point de l'avoir perdu; l'Europe entière a donné des regrets à cette perte vraiment européenne; et ces regrets se renouvelleront sans cesse pour les coeurs généreux, lorsque, jetant les yeux sur les lignes demi-achevées qui terminent le XIe entretien et les dernières que sa main ait tracées, ils verront que, de cette main déjà défaillante, il s'occupait alors de sonder la plaie la plus profonde de notre malheureux âge (2), d'en montrer le danger toujours croissant, et d'y rechercher sans doute des remèdes. C'est ainsi, qu'imitant jusqu'au dernier moment son divin modèle, « il a passé en faisant le bien. » _Pertransiit benefaciendo_ (3).



(1) _Thesaurizate autem vobis thesauros in coelo, ubi neque aerugo neque tinea demolitur, et ubi fures non effodiunt nec furantur._ Matth. VI, 20.

(2) Le Protestantisme.

(3) Act. X, 38.

PREMIER ENTRETIEN.

Au mois de juillet 1809, à la fin d'une journée des plus chaudes, je remontais la Néva dans une chaloupe, avec le conseiller privé de T***, membre du sénat de Saint-Pétersbourg, et le chevalier de B***, jeune Français que les orages de la révolution de son pays et une foule d'événements bizarres avaient poussé dans cette capitale. L'estime réciproque, la conformité de goûts, et quelques relations précieuses de services et d'hospitalité, avaient formé entre nous une liaison intime. L'un et l'autre m'accompagnaient ce jour-là jusqu'à la maison de campagne où je passais l'été. Quoique située dans l'enceinte de la ville, elle est cependant assez éloignée du centre pour qu'il soit permis de l'appeler _campagne_ et même _solitude;_ car il s'en faut de beaucoup que toute cette enceinte soit occupée par les bâtiments; et quoique les vides qui se trouvent dans la partie habitée se remplissent à vue d'oeil, il n'est pas possible de prévoir si les habitations doivent un jour s'avancer jusqu'aux limites tracées par le doigt hardi de Pierre Ier.

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