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Nicolas de Malebranche

Meditations sur l'humilité et la pénitence

CONVERSATION CHRÉTIENNES, Dans lesquelles on justifie la Verité de la Religion & de la Morale de JESUS-CHRIST. Avec quelques Meditations sur l'Humilité & la Penitence. Par le P. MALEBRANCHE, Prestre de l'Oratoire. Nouvelle Edition, revvûë & augmentée. A PARIS, Chez ANISSON Directeur de l'Imprimerie Royale, ruë de la Harpe. M. DCCII. AVEC PRIVILEGE DU ROY.

[383]AVERTISSEMENT.//Le dessein des Méditations sui//vantes est d'abbatre l'orgueil//de l'esprit, & de le disposer à l'hu//milité & à la penitence.//L'homme est si peu de chose,//qu'il suffit de le connoistre pour le//mépriser; & il est si dereglé & si//corrompu, qu'on se sent obligé de//le haïr lorsqu'on ne le considere//qu'en lui-même, je veux dire sans//rapport à Jesus-Christ, qui a réta//bli toutes choses. On ne fait donc//que le représenter dans les Consi//derations suivantes comme créa//ture, comme fils d'un pere pécheur,//& comme pécheur lui-même; &//on croit que cela suffira pour nous donner les sentimens que nous de//vons avoir de nous-mêmes.//Si les hommes, aprés avoir senti//vivement leurs miséres & reconnu//

[384]sérieusement leurs obligations, de//meuroient toûjours insensibles aux//plaisirs, incapables de vanité, &//fort pénétrez des véritez essentiel//les; ces méditations ne seroient//propres que pour ceux qui commen//cent leur conversion. Mais on croit//pouvoir dire qu'elles seront utiles//à tous ceux qui voudront bien s'en//servir, non tant parce qu'elles leur//apprendront ce qu'ils ne sçavoient//pas, que parce qu'elles les feront//penser à des choses, ausquelles ils//ne pensent jamais assez.//

[385]MEDITATIONS//SUR//L'HUMILITE´//ET//LA PENITENCE//De l'homme consideré comme//creature.//I. CONSIDERATION.//LHOMME n'est qu'un pur néant//par lui-même: il n'est que parce//que Dieu veut qu'il soit ; & si Dieu ces//soit seulement de vouloir que l'homme//fût, l'homme ne seroit plus. Car si Dieu//peut anéantir ses créatures, * ce n'est//*Ce n'est pas que Dieu cesse de vouloir ce//qu'il a voulu, puisque ses volontez sontéternel//les & immuables. Mais il a pû de toute éter//nité & par une volonté immuable,vouloir que//ce qui est fust jusqu'à ce moment, & non davan//tage.//

[386]pas en voulant positivement qu'elles ne//soient pas; puisque Dieu ne peut pas ai//mer ou vouloir positivement le néant//qui n'a rien de bon. Mais il peut les dé//truire, parce qu'il peut cesser de vouloir//qu'elles soient. Car comme les créatu//res ne renferment pas toute la bonté,//elles ne sont point invinciblement ni né//cessairement aimables: outre que Dieu//se suffit à lui- même, & possede tout ce//que les créatures ont de realité & de per//fection.//Elevation à Dieu.//Mon Dieu faites-moi continuel//lement sentir la dépendance où je//suis de vôtre volonté toute-puissante.//Mon être est à vous, & la durée de mon//être ou mon temps est aussi à vous. Que//je suis injuste! Mon être est, pour ainsi//dire, l'être de Dieu: mon tems est vé//ritablement le tems de Dieu, car je suis//plus à Dieu qu'à moi, ou plutôt je ne//suis point du tout à moi, je ne subsiste//point par moi, & cependant je ne vis,//& je n'employe le tems de Dieu que//pour moi. Hélas, que je me trompe!//Tout le tems que je n'employe point//

[387]pour vous ô mon Dieu, je ne l'employe//point pour moi, je le perds: & je ne me//cherche, & je ne me trouve, que lorsque//je vous cherche, & que je vous trouve.//II. CONSIDERATION.// L'HOMME n'est que foiblesse &//qu'impuissance par lui-même. Il ne//peut vouloir le bien en géneral que par//l'impression continuelle de Dieu, qui//le tourne & qui le pousse sans cesse vers//lui; car Dieu est le bien indéterminé ou//infini, le bien universel qui comprend//tous les biens. L'homme ne peut aussi par lui-même vouloir aucun bien en//particulier: il ne le peut que parce qu'il//est capable de déterminer vers tel bien//l'impression que Dieu ne lui donne que//pour lui.//L'homme ne peut ni vouloir ni faire//le bien que par un nouveau secours de la//grace qui l'éclaire par sa lumiére, & qui//l'attire par sa douceur: il ne peut par lui-même que pécher.//L'homme ne pourroit pas même re//muer le bras, si Dieu ne communiquoit//à son sang & aux alimens dont il se//nourrit, une partie du mouvement qu'il//

[388]a comme répandu dans toute la matiére;//& s'il ne déterminoit ensuite, selon les//différentes volontez de l'homme im//puissant, le mouvement des esprits, en//les conduisant vers les tuyaux des nerfs,//que l'homme même ne connoît pas.//Ainsi, c'est l'homme qui veut remuer//son bras: mais c'est Dieu seul qui peut//& qui sçait le remuer. Car enfin, si//l'homme ne mangeoit pas, & si ce qu'il//mange ne se digeroit & ne s'agitoit pas//dans ses entrailles & dans son coeur pour//se changer en sang & en esprits, sans at//tendre les ordres de sa volonté; & si ces//esprits n'étoient conduits par une main//sçavante dans un million de differens//tuyaux, se seroit en vain que l'homme//qui ne connoît pas les organes secrets de//son corps, le voudroit remuer.//Elevation à Dieu.//MON Dieu, que je sçache toû//jours que sans vous je ne puis rien//vouloir; que sans vous je ne puis rien//faire; & que je ne puis pas même sans//vous remuer le moindre partie de mon//corps. Vous êtes toute ma force, ô mon//Dieu; je mets en vous toute ma con-

[389]fiance & toute mon esperance. Cou//vrez-moi de confusion & de honte, &//faites-moi interieurement de sanglants//reproches, lorsque je suis si ingrat & si//temeraire que de me servir de mon bras//pour vous offenser; puisque c'est unique//ment par l'efficace de vôtre volonté, &//non par l'effort impuissant de la mienne//qu'il se remuë, lorsque c'est moi qui le remuë.//III. CONSIDERATION.// L'HOMME n'est que ténebres par//lui-même. Ce n'est point l'homme//qui produit en lui les idées par lesquel//les il apperçoit toutes choses; car il n'est//pas à lui-même sa lumiére. Et la Phi//losophie m'apprenant que les objets ne//peuvent pas former dans l'esprit les idées//qui les représentent, il faut reconnoître//qu'il n'y a que Dieu qui puisse nous é//clairer. C'est le grand soleil qui péne//tre tout, & qui remplit tout de sa lu//miere. C'est le grand Maître qui instruit//tous ceux qui viennent en ce monde://C'est & par lui & dans lui que nous//voyons tout ce que nous voyons, & que nous pouvons voir tout ce que nous

[390]sommes capables de voir: parce que//Dieu renfermant les idées ou les ressem//blances de tous les êtres, & étant en lui//comme nous sommes, in ipso enim vi//vimus, movemur, & sumus, nous y voyons, ou nous y pouvons voir succes//sivement tous les êtres. Enfin c'est le//monde intelligible dans lequel sont les//esprits, & dans lequel ils apperçoivent//le monde matériel qui n'est ni visible,//ni intelligible par luy-même.//Elevation à Dieu.//MON Dieu de qui je tiens tou//tes mes pensées, lumiére de mon esprit & de mes yeux, sans laquelle le Soleil même tout éclatant qu'il est, ne//me seroit pas visible, faites-moi toû//jours sentir vôtre puissance & ma foi//blesse, vôtre grandeur & ma bassesse,//vôtre clarté & mes tenébres, en un mot,//ce que je suis & ce que vous êtes.//IV. CONSIDERATION.// L'HOMME par lui-même est in//sensible & comme mort: les corps//qui l'environnent ne peuvent agir sur//son esprit. Peut-être qu'une épée peut

[391]me percer, & faire ainsi quelque chan//gement dans les fibres de ma chair: mais//certainement elle ne peut me faire souf//frir de douleur. Une musique peut-être//peut ébranler l'air, & ensuite les fibres//de mon cerveau: mais certainement mon//esprit n'en peut être ébranlé. Mon ame//est bien au- dessus de mon corps; & il//n'y a aucun rapport necessaire entre l'une//& l'autre de ces deux parties de moi-//même. Je sens d'un autre côté que le//plaisir, la douleur, & tous les autres//sentimens que j'ay, se font en moy in//dépendemment de moi, & même sou//vent malgré tous les efforts que je fais//au contraire. Ainsi je ne puis douter que//ce ne soit quelqu'autre chose que mon//ame, qui donne la vie & le sentiment//à mon ame. Et je connois point//d'autre puissance que celle de Dieu, pour//agir ainsi sur l'esprit de ses créatures. Il//faut être le souverain de l'ame pour la//punir & pour la récompenser, pour la réjoüir, & pour l'affliger.

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Texte produit par Eric Dubreucq (dubreucq@cnam.fr)