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Prosper Mérimée

Colomba (1840)

- Eh bien! répondit miss Lydia, pourquoi n'irions-nous pas en Corse? Pendant que vous chasseriez, je dessinerais; je serais charmée d'avoir dans mon album la grotte dont parlait le capitaine Ellis, où Bonaparte allait étudier quand il était enfant.

C'était peut-être la première fois qu'un désir manifesté par le colonel eût obtenu l'approbation de sa fille. Enchanté de cette rencontre inattendue, il eut pourtant le bon sens de faire quelques objections pour irriter l'heureux caprice de miss Lydia. En vain il parla de la sauvagerie du pays et de la difficulté pour une femme d'y voyager: elle ne craignait rien; elle aimait par-dessus tout à voyager à cheval; elle se faisait une fête de coucher au bivouac; elle menaçait d'aller en Asie Mineure. Bref, elle avait réponse à tout, car jamais Anglaise n'avait été en Corse; donc elle devait y aller. Et quel bonheur, de retour dans Saint-James's-Place, de montrer son album! « Pourquoi donc, ma chère, passez-vous ce charmant dessin? - 0h! ce n'est rien. C'est un croquis que j'ai fait d'après un fameux bandit corse qui nous a servi de guide. - Comment! vous avez été en Corse?... »

Les bateaux à vapeur n'existant point encore entre la France et la Corse, on s'enquit d'un navire en partance pour l'île que miss Lydia se proposait de découvrir. Dès le jour même, le colonel écrivit à Paris pour décommander l'appartement qui devait le recevoir, et fit marché avec le patron d'une goëlette corse qui allait faire voile pour Ajaccio. Il y avait deux chambres telles quelles. On embarqua des provisions; le patron jura qu'un vieux sien matelot était un cuisinier estimable et n'avait pas son pareil pour la bouille-abaisse; il promit que mademoiselle serait convenablement, qu'elle aurait bon vent, belle mer.

En outre, d'après les volontés de sa fille, le colonel stipula que le capitaine ne prendrait aucun passager et qu'il s'arrangerait pour raser les côtes de l'île de façon qu'on pût jouir de la vue des montagnes.

CHAPITRE II.

Au jour fixé pour le départ, tout était emballé, embarqué dès le matin: la goëlette devait partir avec la brise du soir. En attendant, le colonel se promenait avec sa fille sur la Canebière, lorsque le patron l'aborda pour lui demander la permission de prendre à son bord un de ses parents, c'est-à-dire le petit-cousin du parrain de son fils aîné, lequel retournant en Corse, son pays natal, pour affaires pressantes, ne pouvait trouver de navire pour le passer.

- C'est un charmant garçon, ajouta le capitaine Matei, militaire, officier aux chasseurs à pied de la garde, et qui serait déjà colonel si l'Autre était encore empereur.

Puisque c'est un militaire, dit le colonel... il allait ajouter: Je consens volontiers à ce qu'il vienne avec nous... mais miss Lydia s'écria en anglais:

- Un officier d'infanterie!... (son père ayant servi dans la cavalerie, elle avait du mépris pour toute autre arme) un homme sans éducation peut-être, qui aura le mal de mer, et qui nous gâtera tout le plaisir de la traversée!

Le patron n'entendait pas un mot d'anglais, mais il parut comprendre ce que disait miss Lydia à la petite moue de sa jolie bouche, et il commença un éloge en trois points de son parent, qu'il termina en assurant que c'était un homme très comme il faut, d'une famille de _Caporaux,_ et qu'il ne gênerait en rien monsieur le colonel, car lui, patron, se chargeait de le loger dans un coin où l'on ne s'apercevrait pas de sa présence.

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Texte produit par Denis Constales (dcons@world.std.com)