AIDE   TEXTES   AUTEURS   SOMMAIRE

Xavier de Maistre

Voyage autour de ma chambre (1794)

Qu'il est glorieux d'ouvrir une nouvelle carrière, et de paraître tout à coup dans le monde savant, un livre de découvertes à la main, comme une comète inattendue étincelle dans l'espace!

Non, je ne tiendrai plus mon livre _in petto_; le voilà, messieurs, lisez. J'ai entrepris et exécuté un voyage de quarante-deux jours autour de ma chambre. Les observations intéressantes que j'ai faites, et le plaisir continuel que j'ai éprouvé le long du chemin, me faisaient désirer de le rendre public; la certitude d'être utile m'y a décidé. Mon coeur éprouve une satisfaction inexprimable lorsque je pense au nombre infini de malheureux auxquels j'offre une ressource assurée contre l'ennui, et un adoucissement aux maux qu'ils endurent. Le plaisir qu'on trouve à voyager dans sa chambre est à l'abri de la jalousie inquiète des hommes; il est indépendant de la fortune.

Est-il, en effet, d'être assez malheureux, assez abandonné, pour n'avoir pas un réduit où il puisse se retirer et se cacher à tout le monde? Voilà tous les apprêts du voyage.

Je suis sur que tout homme sensé adoptera mon système, de quelque caractère qu'il puisse être, et quel que soit son tempérament; qu'il soit avare ou prodigue, riche ou pauvre, jeune ou vieux, né sous la zone torride ou près du pôle, il peut voyager comme moi; enfin, dans l'immense famille des hommes qui fourmillent sur la surface de la terre, il n'en est pas un seul -- non, pas un seul (j'entends, de ceux qui habitent des chambres) -- qui puisse, après avoir lu ce livre, refuser son approbation à la nouvelle manière de voyager que j'introduis dans le monde.


CHAPITRE II


Je pourrais commencer l'éloge de mon voyage par dire qu'il ne m'a rien coûté; cet article mérite attention. Le voilà d'abord prôné, fêté par les gens d'une fortune médiocre; il est une autre classe d'hommes auprès de laquelle il est encore plus sûr d'un heureux succès, par cette même raison qu'il ne coûte rien. -- Auprès de qui donc? Et quoi! vous le demandez? C'est auprès des gens riches. D'ailleurs de quelle ressource cette manière de voyager n'est-elle pas pour les malades? Ils n'auront point à craindre l'intempérie de l'air et des saisons. -- Pour les poltrons, ils seront à l'abri des voleurs; ils ne rencontreront ni précipices ni fondrières. Des milliers de personnes qui avant moi n'avaient point osé, d'autres qui n'avaient pu, d'autres enfin qui n'avaient pas songé à voyager, vont s'y résoudre à mon exemple. L'être le plus indolent hésiterait-il à se mettre en route avec moi pour se procurer un plaisir qui ne lui coûtera ni peine ni argent? -- Courage donc, partons. -- Suivez-moi, vous tous qu'une mortification de l'amour, une négligence de l'amitié, retiennent dans votre appartement, loin de la petitesse et de la perfidie des hommes. Que tous les malheureux, les malades et les ennuyés de l'univers me suivent! -- Que tous les paresseux se lèvent en _masse_! -- Et vous qui roulez dans votre esprit des projets sinistres de réforme ou de retraite pour quelque infidélité; vous qui, dans un boudoir, renoncez au monde pour la vie; aimables anachorètes d'une soirée, venez aussi: quittez, croyez-moi, ces noires idées; vous perdez un instant pour le plaisir sans en gagner un pour la sagesse: daignez m'accompagner dans mon voyage; nous marcherons à petites journées, en riant, le long du chemin, des voyageurs qui ont vu Rome et Paris; -- aucun obstacle ne pourra nous arrêter; et, nous livrant gaîment à notre imagination, nous la suivrons partout où il lui plaira de nous conduire.


CHAPITRE III


Il y a tant de personnes curieuses dans le monde!

(Début)  1 ... 20  Paragraphes suivants  

Notice  Table  Recherche  Frequences  Texte Complet  

Texte produit par Julien Mannoni (mannoni@worldnet.fr)